C’est à Valérie Pécresse, nommée dans le premier gouvernement de F.Fillon, au lendemain de l’élection du président N.Sarkozy en 2007, qu’incomba la mise en forme puis le vote de la loi « Libertés et Responsabilités des Universités » (LRU). Première loi de ce quinquennat, il s’agissait de tourner la page des héritages de lois E. Faure (1968) et A. Savary (1984) dans lesquelles l’organisation universitaire s’inscrivait dans une logique de service public à cohérence nationale en écho aux temps forts sociaux et politiques que furent mai 68 et mai 81. Ce fut une rupture.
Les questions d’enseignement supérieur, de recherche, d’indépendance et de souveraineté reviennent (un peu) dans le débat public à l’occasion de la prochaine élection présidentielle tant par celle qui est devenue la candidate LR que par les propos du président sortant le 13 janvier dernier. Examinons, au regard des orientations et de la méthode, les traits majeurs de cette loi et de ses conséquences (budgets, crédit impôt recherche, décret statutaire des enseignants chercheurs), comme la cascade de dispositifs prolongeant cette impulsion initiale (lois Fioraso de 2013 et Vidal de 2020) ; puis tentons un bilan au regard des besoins nationaux ainsi que des comparaisons internationales.
En juin 2007 la feuille de route transmise à V. Pécresse veut exploiter les ambiguïtés des dispositions adoptées à la fin du second mandat de J. Chirac en 2005, à la suite du mouvement revendicatif « sauvons la recherche » qui protestait contre les diminutions d’emplois dans le secteur de la Recherche publique. Il s’agira de pousser à l’extrême la logique liée à la création (sur un modèle importé des USA) de l’Agence Nationale de la Recherche. Celle-ci privilégie des recherches qui s’organisent en réponse à des « appels à projets » élaborés de manière plus ou moins opaque par divers financeurs potentiels de la recherche, au détriment d’une logique de financement récurrent laquelle laisse une large initiative scientifique et une temporalité plus ample aux chercheurs, enseignants-chercheurs et aux laboratoires qui structurent les communautés scientifiques. Ajoutés à la croissance continue du nombre d’étudiants, deux arguments idéologiques sont mobilisés par le gouvernement en 2007: un populisme trivial qu’instrumente N. Sarkozy avec le thème rebattu de chercheurs qui cherchent mais trouvent peu et le libéralisme inspiré du modèle américain individualiste et concurrentiel. S’appuyant sur une vision très fragmentaire des universités américaines réduite aux plus prestigieuses et à l’opportun « classement de Shanghai », V. Pécresse a fait croire- à qui le voulait bien- que d’une autonomie administrative accordée aux établissements d’enseignement supérieur, découlerait inévitablement abondance de financements et rayonnement pour ceux qui le méritent. Des fondations disait-elle collectant, auprès de donateurs privés et d’entreprises, des millions d’euros étant désormais susceptibles de faire ruisseler l’argent vers les meilleurs.
Conjugaison du libéralisme et du populisme, la terminologie vantant l’excellence s’est emballée, les appels à candidatures pour : laboratoires d’excellence (Labex), initiatives d’excellence (Idex), équipements d’excellence (Equipex), chaires d’excellence,… ont ainsi rythmé les années de V. Pécresse au ministère. Résultat : quelques bénéficiaires et surtout beaucoup de chercheurs et d’enseignants-chercheurs épuisés et niés dans leur travail, car la recherche n’avance ni à un rythme uniforme ni par sauts spectaculaires. On le sait trop peu (même si aujourd’hui la crise sanitaire de la Covid a fait évoluer les mentalités) : le travail collaboratif souvent lent de confrontation/vérification/publication est un maillon essentiel des avancées scientifiques. C’est une donnée universelle que ce ministère ne peut ignorer…mais dont une ministre qui vise plus à communiquer avec l’opinion publique qu’à prendre en compte les difficultés des étudiants et des personnels peut se passer. On trouve là une constante que V. Pécresse érige en principe politique. Ainsi malgré le constat alarmant de 2004 (Etats Généraux de la Recherche à Grenoble) partagé par tout l’échiquier politique qui a exhorté à une relance de l’investissement en budgets et en emplois pour l’enseignement supérieur et la recherche, elle présente les universitaires qui-cohérents avec les préconisations de Grenoble- s’opposent au projet de loi LRU sous la forme d’une caricature facile : ils seraient le « statu quo », elle est « la réforme » !
Dans le même registre manipulateur, en étroite relation avec C. Guéant alors secrétaire général de l’Elysée, elle chercha à diluer, dans les rares phases de rencontres associées aux manifestations et aux grèves qui s’opposaient à son projet de loi, la représentation fidèle et lucide du monde universitaire issue des scrutins professionnels (ceux-ci accordaient au syndicat SNESUP-FSU une audience de plus de 40%, largement la plus importante) au milieu d’une avalanche d’associations et d’organisations –une cinquantaine- les plus fantaisistes.
Prolongeant la campagne électorale de N. Sarkozy, inscrite dans une logique d’hyper-présidentialisation, la loi LRU qu’elle met sur orbite en juillet 2007 cherche à installer une « gouvernance forte » des universités incarnée par un président-manager. L’avant-projet de loi ira même jusqu’à favoriser le recrutement des présidents d’université parmi celles et ceux qu’elle connaît le mieux : les énarques. Cette mesure sera combattue par la majorité des universitaires puis abandonnée comme d’autres, sur lesquelles elle manœuvra en recul.
Le même scenario se répéta en 2009, quand la révision -à son initiative- du décret statutaire régissant les conditions de recrutement, de carrière et de travail des enseignants-chercheurs, apparut avant tout comme un dispositif visant à augmenter (pour faire face à moindre coût au nombre d’étudiants) les obligations de service d’enseignement de certains d’entre eux selon des règles opaques. Rejeté par la grève et des manifestations inédites chez ces personnels, un nouveau décret fut publié en force mais la mesure phare de « modulation de service » n’entra jamais en vigueur…et la ministre fut exfiltrée de son ministère vers celui du Budget.
15 ans plus tard, on peut mesurer les effets. S’inscrivant certes dans une séquence plus longue, commencée à la fin des « 30 Glorieuses », qui avait vu la massification de l’enseignement supérieur, le début de la désindustrialisation, des logiques de concentration –synonymes d’économie d’échelle et de désengagement - y compris dans le monde des laboratoires privés de recherche, la loi LRU a bien marqué une rupture dans la conception française d’un homogène service public universitaire et de recherche de haut niveau. Le cadre national des diplômes s’efface au profit des labels des établissements qui les délivrent, la concurrence s’exacerbe tant pour l’accès aux formations que pour le financement des formations et des recherches. Les dispositions législatives ultérieures de 2013, 2018 et 2020 (les lois ORE et LPR) ont accentué ces traits essentiels comme la continuité de l’insuffisance budgétaire : fragilisation de l’entrée dans le post-bac pour l’immense majorité des bacheliers, recul du nombre de thèses, diminution du nombre de personnels statutaires. A ces aspects quantifiables s’ajoutent des régressions plus insidieuses : collégialité –pourtant si essentielle aux débats scientifiques et au pluralisme des recherches- démantelée au profit d’une logique managériale totalement inadaptée aux enjeux multiples et pluridisciplinaires au cœur de la vie universitaire. Amplifier ces mécanismes parait l’objectif d’E. Macron pour les cinq ans à venir, c’est ce qui ressort de son bilan et de ses déclarations du 13 janvier : aiguillages renforcés pour exclure nombre d’étudiants des poursuites d’études et de réorientation, concentration de l’effort budgétaire de l’Etat sur un très petit nombre d’établissements et de thématiques créant de facto des universités de seconde zone, mise en avant du prix coutant des études dans une logique de financement par les étudiants. Sur ces questions la convergence Macron-Pécresse est totale et on peut dire sans forcer le trait que l’actuelle ministre F.Vidal (ou un.e autre à la suite) avec E. Macron n’est et ne sera qu’un clone de V. Pécresse.
Sans surprise, avec les spécificités universitaires, cela traduit la crise de nombreux services publics (santé, justice, éducation,…) : budgets insuffisants, statuts rognés, bureaucratisation et logiques managériales qui prévalent désormais en termes de missions comme en matière de gestion des personnels avec une tendance lourde à la précarisation (près de 40% de non titulaires dans le supérieur).
Les comparaisons internationales ont elles donné raison à V. Pécresse et à ses successeurs? D’évidence le seul « classement de Shanghai » (encore évoqué par E. Macron le 13 janvier) où certaines universités françaises fusionnées entre elles ont bien sûr gagné quelques places ne suffit pas ! Côté financement de la Recherche l’augmentation considérable du Crédit Impôt Recherche (CIR) atteignant désormais plus de 7 milliards d’euros par an fondé sur une déclaration des entreprises (matériels nouveaux, niveau de diplomation des salarié.e.s) laisse sceptiques en terme d’efficacité même les plus modérés des parlementaires. La logique de l’applicabilité de la recherche menée dans les universités et les laboratoires publics de recherche, qui viserait à « booster » ce qui est appelé innovation vers les entreprises, n’a pas fait non plus la preuve de son efficacité. Au contraire on décèle même un triple aspect négatif : le plus évident est de désengagement des firmes privées d’une part conséquente de leurs activités propres de recherche, le secteur de la pharmacie est sur ce plan édifiant 70% des effectifs « recherche » de Sanofi ont disparu, par ailleurs les appels à projets dits structurants – big data, hydrogène, santé par exemple- sont avant tout des dispositifs d’aubaine pour des entreprises auxquels une flopée de microsociétés satellites conseillent et vendent des montages et des organigrammes associant structures publiques et privées, collectivités territoriales et fonds d’investissements…sans qu’une grande réalité scientifique n’étaye toujours l’affaire. On est ni très loin des « avions renifleurs » ni des « quotas carbone ». Dans cette politique, et ce n’est pas le moindre des effets, les sciences humaines et sociales, sont plus encore négligées quand elles ne sont pas instrumentalisées ou méprisées.
Pourtant dans tous les champs d’études la production de nouvelles connaissances s’étend sur tous les continents; partout l’accès à ces connaissances est une aspiration des sociétés civiles. C’est une condition largement perçue comme nécessaire, pour faire face aux défis d’une civilisation mondialisée. Les bonds en avant de l’enseignement supérieur et de la recherche se multiplient sur la planète même s’ils s’inscrivent dans des logiques économiques et idéologiques variées. Impossible d’ignorer sur ce point la question des brevets, ni celle du débauchage de scientifiques de haut niveau côté recherche ; ni, côté université, d’ignorer les enjeux de démocratisation, le coût réel des études, la sincérité des diplômes comme la reconnaissance objective de ceux-ci (en particulier pour supplanter les logiques de réseaux dans l’accès à l’emploi qualifié et/ou rémunérateur).
La révolte en 2018 des étudiants au Chili- pointe avancée du libéralisme universitaire sous le régime Pinochet et à sa suite- a été l’un des détonateurs d’un mouvement social d’ampleur et le ferment de la reconstruction des forces progressistes, preuve, s’il en est besoin, que les questions universitaires ne se traitent ni en vase clos ni sans incidence sur la société toute entière ! A l’heure bien sonnée du réchauffement climatique causé par des pratiques humaines irresponsables est-il toujours d’actualité de voir la science et les formations universitaires sous le seul aspect d’un marché mondial ? Faut-il multiplier les flux d’étudiants sur les lignes aériennes internationales ? Peut-on vraiment envisager comme E. Macron faire venir 500 000 étudiants (avant tout solvables dit-il) pour équilibrer le budget des universités françaises, sans pour autant pour ceux-ci, dans bien des cas, obtenir ni un réel différentiel de contenu de formation ni un accès significatif à la langue et à la culture française?
En matière de conditions d’études et de recherche, même avant la crise de la COVID 19, ni la contribution de l’Etat, ni les efforts spécifiques des universités financièrement exsangues, n’étaient à la hauteur des besoins. Le vécu des étudiants et des personnels durant ces deux années a par contre prouvé le caractère indispensable d’un changement d’ordre de grandeur dans le soutien matériel aux étudiants (résidences universitaires, bourses conséquentes,…) comme d’une pédagogie vivante fondée sur des échanges dans les salles de cours, les amphithéâtres, sur la pratique de travaux encadrés et l’illusion des avatars numériques et « distanciels ».
L’architecture et le financement du monde universitaire français redessinés par la loi LRU n’ont pas répondu aux besoins réels de notre société.
Ce constat invite à trouver d’autres voies pour redresser le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche. Osons-en quelques-unes.
• Supprimer le CIR (gain 7,2 milliards!), pour une réorientation massive vers les universités et de l'élaboration d'un véritable dispositif de soutien public à l'emploi scientifique de haut niveau
• Intégrer budgétairement tout le post bac et toute la recherche publique au sein d'un même ministère (y compris BTS, CPGE -du côté de l'enseignement- et les crédits "recherche" des ministères techniques). Elaborer un nouvel outil de répartition des moyens de l’Etat aux établissements puisque le dernier en date a été abandonné au profit de pseudo négociations entre le ministère et les exécutifs des établissements. Rendre à l’Etat sa responsabilité et revenir à une gestion nationale des personnels en sortant la masse salariale des budgets des établissements.
• Ouvrir des milliers de place en licence et en master en faisant l'économie des mesures de sélection (qui outre leur dimension discriminatoire, sont très bureaucratiques, couteuses en temps, en personnels, en stress pour les jeunes et leurs familles).
• Revoir tous les dispositifs d'échanges internationaux (formation et recherche) en y ajoutant l'angle de la protection de la planète (sur ce point la même rigueur doit s'appliquer aux séminaires organisés à l’étranger par les entreprises).
• Améliorer les bourses d’études et tous les aspects de l'emploi et des rémunérations pour toutes les catégories de personnel (volumes de recrutement, tarif des heures complémentaires,...) en donnant à nouveau sens à la collégialité et au principe de subsidiarité
• Supprimer les superstructures de normalisation (HCERES, ANR) en revitalisant le rôle d'instances élues au périmètre d’action clair en y associant la représentation nationale ; restaurer la plénitude des libertés académiques.
Il est temps pour la France de solder l’impasse de la loi LRU – encore plus de déjouer les pièges d’une fuite en avant essentiellement européenne et technocratique telle qu’envisagée du côté d’E. Macron comme de V. Pécresse. Donner des moyens et du temps pour l’enseignement supérieur et la recherche dans une perspective humaniste de service public est-ce rêver ?