En 2007, à peine élu président de la République, Nicolas Sarkozy a mis en chantier une
réforme profonde de la recherche et de l’enseignement supérieur. C’est la première grande loi
adoptée en août 2007, connue sous le nom « Libertés et responsabilités des universités » ou
sous son acronyme LRU. Il y a quelques mois, au nom de la modernisation et des défis du
XXIe siècle, Emmanuel Macron s’est engagé à faire évoluer à nouveau le monde universitaire
par un « acte II », dit-il, de l’autonomie.
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Aucun bilan public n’a pourtant jamais été fait des profonds changements introduits en 2007.
Certes, des coups de projecteur apparaissent ici ou là, tantôt pour célébrer des lauréats de
prestigieuses récompenses académiques internationales, tantôt pour s’alarmer du stress
produit chez les jeunes et leurs familles par la procédure Parcoursup d’accès à l’enseignement
supérieur ou des difficultés sanitaires d’une part importante de la jeunesse. Mais ce
kaléidoscope d’impressions ne vaut pas analyse. C’est pourtant essentiel et il y a urgence.
Aujourd’hui en France, plus des deux tiers d’une génération atteignent le baccalauréat, et
l’accès facile aux réseaux numériques homogénéise plus que jamais l’environnement culturel
de toute la jeunesse, par-delà d’indéniables disparités économiques. Malgré ces difficultés –
mesurées par exemple par les enquêtes PISA et par la pénurie d’enseignants – qui creusent les
inégalités, l’enseignement secondaire a aussi contribué, jusqu’ici, à forger un horizon et des
aspirations communes. Celles-ci se brisent sur le mur des sélections territoriales et sociales
que la loi LRU a patiemment et solidement dressé.
Voie de la concurrence
Voilà le résultat de choix délibérés, qui font violence à une grande partie de la jeunesse et qui
minent les fondements de notre société. Il y a bien un avant et un après la loi LRU, ce qui,
sans enjoliver le passé, doit amener à réfléchir, bien au-delà du monde universitaire, aux
raisons de ce séisme.
Au prétexte que les activités de recherche s’exercent au niveau mondial, dans une forme de
compétition vers l’avancée des connaissances (et en ignorant soigneusement toutes les phases
d’échange, de vérifications qui les mettent en commun), la voie choisie par Nicolas Sarkozy
et mise en oeuvre par Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur à l’époque, est
résolument celle de la concurrence. Tout, absolument tout, de l’accès à une formation au
travail et à la carrière des personnels dans la recherche et les universités, en passant par le
financement des recherches, se jauge sous ce seul éclairage. Pas de critères partagés et encore
moins d’arbitres de ces concurrences, mais une formule magique qui séduit par sa simplicité
(comme une évidence, dit-on) et désarme ses détracteurs : l’excellence !
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marché des universités
Les gouvernements chargés de mettre en oeuvre la loi LRU ont usé jusqu’à l’écoeurement des
initiatives d’excellence, laboratoires d’excellence, équipements d’excellence, chaires
d’excellence, pour défaire systématiquement un patrimoine et un potentiel de recherche et de
formation postbac qui irriguaient à la fois le très large spectre du champ scientifique et, de
manière plutôt équilibrée, l’ensemble des territoires.
Qui sont aujourd’hui les gagnants de la loi LRU, acte I de l’autonomie, préfigurant l’acte II
annoncé ? L’« Etat stratège », formule répétée à l’envi par Valérie Pécresse et ses
successeurs, a-t-il depuis dix-sept ans amélioré ses capacités d’anticiper les choix
environnementaux, énergétiques, sanitaires, numériques ? Les étudiants sont-ils mieux
formés ? Satisfaits de leurs parcours de vie et d’études ? Les chercheurs sont-ils massivement
heureux de leurs conditions de travail ?
Bien que connues et, pour l’essentiel, négatives, les réponses ici ne troublent pas les
promoteurs de ces choix politiques, qui prétendent à un argument imparable : celles et ceux
qui sont mécontents ne sont pas excellents. Et les gouvernements, comme M. Macron
aujourd’hui, sont satisfaits d’enfermer le débat dans ce mépris qui, par ailleurs, nourrit la
critique des fonctionnaires. Car l’essentiel est ailleurs.
La loi LRU a remplacé un service public d’enseignement
supérieur
Il y a des gagnants à la loi LRU. L’enseignement supérieur privé – essentiellement bien plus
cher que le public, peu contrôlé et peu diplômant – a plus que doublé ses effectifs, pour
atteindre plus du quart des étudiants. Le crédit d’impôt recherche et les « investissements
d’avenir » – au total plus de 10 milliards d’euros par an – irriguent plus que jamais, avec le
prétexte de l’innovation, des entreprises qui, dans le même temps, ne créent que très peu
d’emplois scientifiques hautement qualifiés. De manière cohérente, puisqu’il y a bien là un
choix politique, par la logique de financement de la recherche sous la forme d’appels à
projets, c’est vers les besoins de recherche appliquée que s’oriente le plus gros des flux
budgétaires de l’Etat et des régions. Ainsi, toute une part de ce qui s’appelle recherche et
développement, partie intégrante de l’activité des entreprises dans la plupart des pays, est
assurée de près ou de loin en France par l’argent des contribuables.
La loi LRU a remplacé un service public d’enseignement supérieur à peu près homogène sur
le territoire national – marqué en matière d’enseignement par une sélectivité et une
reconnaissance des diplômes, fondés pour l’essentiel sur des critères de mérite académique
homogènes – par un édifice violemment concurrentiel dont Parcoursup n’est
malheureusement que l’un des jalons. Si les jeunes bacheliers en sont, dans les semaines à
venir, les plus affectés puisqu’ils sont conduits à se conformer à une lettre de motivation que
la bureaucratie ministérielle leur a extorquée (et que, dans bien des cas, des parents ou des
coachs ont écrite à leur place), les établissements universitaires et leur personnel en perdent
leur horizon. Rien n’oblige à laisser en l’état, voire à amplifier avec l’acte II, une situation où
les moyens affectés à une licence d’informatique, par exemple, passent du simple au double
d’un établissement à l’autre. Au contraire !