Après lecture d'un billet de rogueEsr publié sous le titre "Décevoir l'attendu" et rediffusé par Joël Pothier, en avril 2022, je posais quelques questions (voir ci-dessous) qui restent aujourd'hui, veille de 1er mai,. ..comme en suspension.
Revenons-y, cette fois sous un titre plus explicite!
Colères légitimes des universitaires, analyses lucides, activisme de quelques un.e.s pour vivifier colères et analyses et entrainer à l'action - y compris ce premier mai dans les cortèges initiés par les organisations syndicales- et après?
Je le disais : l'escamotage de la question syndicale n'est plus tenable.
Pourtant, billets après billets, rogueEes -après d'autres collectifs auparavant depuis 20 ans- élude délibérément cette interrogation, y compris paradoxalement hier 29 avril en invitant (et il faut s'en réjouir) à ce temps fort international du mouvement ouvrier qu'est le 1er mai (auquel quels que soient les champs professionnels les organisations syndicales et/ou confédérations, se rattachent au moins sur le plan historique).
Dans ce qui s'apparente à une volonté de s'éloigner d'une "forme" syndicale, à défaut d'arguments qui viendraient d'un discours de science politique, sont évoqués plusieurs éléments qui méritent l'analyse :
1) l'inefficacité des syndicats. Dans le milieu de l'enseignement supérieur et de la recherche (J. Pothier l'évoque dans un message récent) est mis en avant ce que beaucoup appellent l'échec du mouvement universitaire de 2009 . Ce moment fort de luttes intenses (manifestations locales et nationales au cours d'une longue période de grève) avait de nombreux enjeux à la fois successifs et simultanés : la contestation globale de la loi LRU (après le premier temps des actions de 2007), le refus de l'alourdissement des services d'enseignement des enseignants-chercheurs appelé "modulation", dispositif inclus dans la révision du décret statutaire; et la "réforme" de la formation des enseignants et des concours. Tant sur le plan du cadre législatif universitaire que de la formation des enseignants, la très importante mobilisation des collègues, additionnée selon les moments de celle des étudiant.e.s et/ou de celle des collègues du premier et du second degré, n'a pas produit d'effet majeur sur le long terme et tout au plus infléchi ou retardé certaines dispositions annoncées par le gouvernement. Il en est tout autrement de la "modulation des services", certes le décret a été modifié, mais nulle part depuis près de 15 ans, un.e collègue titulaire ne fait plus de 192h eqtd, sans être payé en HC. Ce n'est pas rien! Ni pour tous les collègues, ni pour nos revendications visant aux indispensables créations d'emploi. Parler d'échec est donc à la fois simplificateur...et démobilisateur. Il ne s'agit pas d'enjoliver les dynamiques d'actions collectives et leurs résultats mais de porter l'exigence de lucidité critique sur le proche passé et sur la construction de mobilisations à venir. A défaut, après de pertinentes analyses, l'appel à l'action, même au renouvellement des formes d'actions, apparait comme incantatoire. Dans le moment revendicatif de 2009, où trouver la disqualification du syndicalisme (par essence) ou de tous les syndicats? Encore une fois, l'examen des faits tant dans les mobilisations locales, que dans la circulation des informations visant à fédérer celles-ci et à construire le rapport de forces avec le pouvoir montre le rôle du SNESUP. On ne peut en dire autant du SGEN bien sûr, ni d'autres organisations ou collectifs aux implantations plus ténues.
2) activisme ou militantisme. Le premier de ces mots est redevenu très valorisé en particulier dans le domaine des luttes féministes comme dans celui des luttes pour préserver la planète. Le second porte en lui une rigidité toute militaire qu'il convient à juste titre de bannir de toutes les formes de rassemblements utiles pour construire du "mieux vivre et travailler ensemble" et en particulier des pratiques syndicales. Au delà des mots, il ne s'agit pas que d'une posture d'engagement individuel pour des causes collectives comme le sont celles qui préoccupent un grand nombre d'universitaires. De quoi avons nous besoin pour fédérer autour de nos revendications et les voir aboutir? La relecture du programme d'interventions de la rubrique "Que faire" dans le billet de Rogueesr évoqué plus haut, présuppose un dispositif co-élaboré, construit à l'échelle de toutes les universités selon un calendrier convergeant ...et en liaison avec des délibérations d'instances universitaires locales. Qui co-élabore et qui peut mener à bien ce vaste programme?
La première question soulève celle de la démocratie et de la transparence qui n'est pas facilement compatible avec l'usage d'un pseudonyme collectif. La seconde suppose une capacité d'exposer avec légitimité aux collègues, à la presse et au pouvoir des revendications et de négocier tant localement (sur ce qui relève du local) qu'avec le gouvernement. C'est ce qu'est une organisation syndicale! N'ajoutons ni discrédit, ni une organisation supplémentaire, à celles, déjà bien trop nombreuses sur des analyses et des objectifs proches. Travaillons dans une logique unitaire : ne nous épuisons pas à nous diviser.
Colères, activisme...et syndicalisme... explicite et hautement indispensable après les résultats de l'extrême-droite le 10 avril et l'élection de Macron le 24.
A suivre en de sincères et constructifs débats...
jean fabbri
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Alors, que faire?
S'inspirer d'intellectuels lucides pour adopter aujourd'hui la même exigence -tant individuelle que collective - est une nécessité.
Nous avons pour beaucoup en commun les mêmes analyses radicalement critiques du monde économique et de la société (dont le monde universitaire) façonnée aux intérêts financiers. Pourquoi alors arrêter la lucidité dès qu'il s'agit d'examiner le corps social universitaire (complexe, traversé de tensions et marqué par la précarité) que nous formons, et ignorer les ferments de résistances collectives qui sont là?
Après SLR, SLU, Sciences en Marche, le collectif Jean-Pierre Vernant, ...et j'en oublie, l'escamotage de la question syndicale est une constante qui interroge. Cet "oubli", cet "impensé" n'est plus tenable.
Tant sur le plan intellectuel que sur le plan pratique. Confrontons nous collectivement à cette exigence avec la lucidité affichée par ailleurs.
Posons la question franchement : ces organisations de luttes et de solidarités fondées sur le rapport au travail (conditions de travail, droits sociaux, salaires,...) sont elles obsolètes? Autour de nous, en France comme à l'étranger, les paysages syndicaux sont très différents, peut-on ignorer les batailles pour l'emploi, pour les salaires et le pouvoir d'achat menées dans nombre d'entreprises, les luttes contre l'uberisation, ...avec les syndicats...même les batailles pour avoir droit de se syndiquer (Amazon aux USA) !!
N'hésitons à pas à la critique des modes d'organisation, de fonctionnement, ...cherchons à fédérer, à surmonter les divisions syndicales lorsqu'elles sont seulement des questions d'appareil.
Il y a un avenir pour un syndicalisme universitaire repensé, égalitaire donc nous aidant à dépasser une logique mandarinale sclérosante qui ajoute indéniablement aux difficultés ...mais agir pour ce dépassement est aussi un puissant stimulateur!!
À suivre